Situations-problèmes, le goût du doute

Mis à jour le 23.05.25

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décryptage d'un dispositif didactique interactif

Les situations-problèmes constituent un dispositif didactique interactif qui vise à construire des apprentissages durables en amenant les élèves à bousculer leurs représentations.

Trop souvent confondues avec des problèmes mathématiques destinés principalement à entraîner des compétences déjà acquises ou des problèmes avec un habillage ludique visant des connaissances isolées, les « situations-problèmes » considèrent les enfants comme des sujets acteurs de leurs apprentissages. Elles constituent un contre-pied au cours frontal dissimulé derrière des questions-réponses formelles et à une tendance actuelle à distribuer des connaissances à travers des activités normées. Il s’agit de situations où les élèves chargés d’une « mission » de recherche rencontrent un ou plusieurs obstacles qui déstabilisent leur système de représentations (voir interview).

Cette démarche didactique offre un espace d’interactions entre diverses interprétations, entre anciens et nouveaux savoirs, permettant d’en construire d’autres d’un niveau supérieur. Se référant à la recherche en didactique des mathématiques, les situations-problèmes vont astreindre l’élève à élaborer de nouvelles connaissances ou stratégies. Cela peut être le cas par besoin d’économie (la multiplication plutôt que l’addition réitérée), pour étendre un concept (de l’addition à trou à la soustraction) ou pour déconstruire une conception initiale erronée (moins de pièces peut parfois valoir plus d’argent). Il peut également s’agir d’une « expérience déclic ». Par exemple la confrontation à une très grande collection oblige à une organisation nouvelle des collections à dénombrer, par des groupements en dizaines puis centaines etc. Elle vise ainsi à comprendre le principe de position des chiffres dans la numération tout en se l’appropriant durablement.

AU-DELÀ DES MATHS

Ce type de situations, qui résonnent avec la démarche scientifique par son approche expérimentale, peut également s’étendre à d’autres disciplines. EMC, géographie, lecture, histoire… il s’agit de questionner un concept en obligeant à des confrontations, au-delà d’une connaissance disciplinaire ponctuelle. Le déclenchement peut se faire par une question en contraste avec les représentations majoritaires (« les Romains ont-ils vraiment civilisé les Gaulois ? ») ou par une formulation qui va interpeller les conceptions (« on met du sucre dans l’eau, il disparaît… il n’existe donc plus ! »). Cette démarche, qui se réfère au conflit cognitif, au socioconstructivisme ou au concept de dissonance cognitive des psychologies sociales (voir ci-contre) vise une modification durable des savoirs et schèmes d’action. Elle peut s’appuyer sur des pédagogies coopératives.

ACCEPTER CE QUI TROUBLE

Cela nécessite de prendre le temps et d’accepter des procédures laborieuses. C’est un basculement de pratiques consistant à débusquer, provoquer et travailler l’erreur plutôt que de l’éviter. L’idée est de donner sens à la notion de points de vue sans la contrainte d’une échéance courte de production. Permettre aux élèves une recherche opiniâtre faite de doutes et de questionnements, motivée par un désir d’apprendre.

FOCUS : APPRENDRE À INTERPRÉTER

Bousculer les représentations se pose également en littérature. Lorsque les élèves anticipent une histoire à partir d’indices partiels pris sur la couverture, ils risquent de chercher à y trouver du connu ou une confirmation. De même, se laisser guider par les questions ciblées de l’enseignant∙e peut laisser penser que la compréhension ne peut exister qu’avec une tutelle extérieure. Catherine Tauveron, chercheuse en didactique de la littérature, invite à poser la lecture littéraire comme une résolution de problèmes à des textes « résistants ». Cela implique de donner des textes qui vont poser des problèmes de compréhension ou d’interprétation. On peut alors solliciter un résumé d’une œuvre résistante par plusieurs élèves et les comparer afin d’explorer les zones d’indéterminations mais aussi de contraintes du texte et montrer que « comprendre, c’est comprendre quelque chose ». On peut aussi à partir d’un réseau d’œuvres, demander si les personnages sont libres, si la représentation du mur constitue une protection ou un enfermement, interroger le mythe du loup… Lire pour mettre en relation ses connaissances culturelles, affectives, ses interprétations, en les confrontant avec celles des autres. Accepter les différences de points de vue et se construire sa propre synthèse. consistant à débusquer, provoquer et travailler l’erreur plutôt que de l’éviter. L’idée est de donner sens à la notion de points de vue sans la contrainte d’une échéance courte de production. Permettre aux élèves une recherche opiniâtre faite de doutes et de questionnements, motivée par un désir d’apprendre.

Interview de Alain Dalongeville

Alain Dalongeville est docteur en sciences de l’éducation, Auteur de « Réussir dans ma classe, 5 changements clés », (Éd. Chronique sociale -2020)

Alain Delongeville

EN QUOI FAUT-IL « METTRE EN CRISE » LES REPRÉSENTATIONS DES ÉLÈVES ?

Il faut déjà comprendre qu’une représentation ne se confond pas avec un faux-savoir – tel que « Charlemagne a une barbe fleurie » – mais correspond à une conception construite historiquement, socialement, idéologiquement, au sein d’un groupe social dans lequel chaque sujet est inséré. C’est un système cohérent qui nous amène à le penser d’une certaine manière et qui résiste durablement à une instruction magistrale de nouveaux savoirs. Si on ne travaille pas sur ces représentations, on les laisse prégnantes : les connaissances factuelles transmises sont analysées, interprétées par le filtre de ces représentations. Cela nécessite de prendre en compte la représentation pré-existante, de la mettre en cause, de lui donner une contradiction.

UN EXEMPLE ?

Nos connaissances des « Invasions Barbares » s’inscrivent dans la version hiérarchique instituée par l’Église catholique romaine. Dans les pays anglo-saxons les historiens parlent de « grandes migrations de peuples ». Cette différence de terminologie sous-tend une vision de l’étranger comme une menace potentielle, soudaine et sans métissage culturel, destructrice. Trois concepts sont au centre de cette problématique. D’une part, le concept d’altérité, très prégnant dans l’histoire des sociétés : savoir si la différence est considérée comme insupportable ou source d’enrichissement. D’autre part, le concept de causalité : désigner les Invasions Barbares comme responsables de la chute de l’Empire romain c’est se servir d’une causalité exclusivement exogène, mono-causale. Ou encore le concept de temps : les migrations sont-elles un cataclysme ou une permanence de l’Histoire ?

QUELLE SITUATION DIDACTIQUE CELA IMPLIQUE ?

Pour qu’il y ait « crise », les élèves doivent affronter une tâche, effectuer une « mission » qui viendra perturber leurs représentations. Cela passe par un temps de recueil des représentations en lien avec un concept choisi. Reprenons celui de l’altérité : une question ouverte telle que « D’après vous au Moyen âge, qui sont les Barbares ? » devrait engendrer d’autres interrogations complétées par des documents contradictoires. Il ne s’agit pas d’éliminer le point de vue des évêques catholiques mais d’entendre d’autres histoires, d’interroger les choix des manuels. Loin d’un cours magistral, y compris déguisé par des questions, confronter les narratifs, en particulier celui des personnes exclues, notamment des femmes, cherche à déconstruire les évidences, les récits simplifiés ou univoques. C’est apprendre à apprendre au-delà de la discipline elle-même. Se recentrer sur le faire des élèves, l’organisation des points de vue, c’est finalement le cœur du métier : la pédagogie.

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