Première rentrée

Mis à jour le 29.11.24

min de lecture

Spécificité du système scolaire français, qui en fait le socle des apprentissages à venir, l’enseignement en maternelle représente un enjeu pédagogique majeur. Accueillir l'enfant dans sa singularité est essentiel pour lui permettre d'accéder à des savoirs émancipateurs.

Maryse Metra est psychologue de l’enfance et de l’adolescence, elle a été enseignante spécialisée. Membre du comité scientifique de la Fédération nationale des associations des rééducateurs de l’Éducation nationale (FNAREN), elle est l’autrice de « L’enfant, maître de sa parole et de La première rentrée à l’école » réactualisé en 2024.

Maryse Metra

“Accrocher ce désir de revenir le lendemain”

L'ÉCOLE, UN MONDE ÉTRANGER POUR LES JEUNES ENFANTS ?

À sa naissance un enfant est accueilli dans une maison, puis il va connaître d’autres environnements : la nourrice, les grands-parents, la crèche… Tous ces lieux ont des codes spécifiques auxquels il devra s’adapter. La découverte de l’école constitue une nouvelle aventure sur son chemin. Un « vivre ensemble » avec nombre d’enfants du même âge. Il y rencontre des adultes qui ont un statut spécifique, un projet éducatif différent et complémentaire de celui des familles. Il découvre d’autres usages de la parole et du langage, avec lesquels il n’est pas toujours en connivence. L’appartenance à cette nouvelle communauté se construit petit à petit et l’enfant a besoin de s’y sentir en sécurité pour s’y investir, pour se sentir progressivement concerné par les apprentissages.

COMMENT TRAVAILLER À UNE SÉPARATION QUI FASSE GRANDIR ?

La vie de tout individu est faite de séparations, de discontinuités, voire de ruptures. L'important est de savoir comment l’enfant peut les vivre et comment il peut transformer ces discontinuités imposées pour garder ce "sentiment continu d'exister", dont parle D.W. Winnicott. Dans toute séparation, il faut lâcher quelque chose pour pouvoir établir un nouvel équilibre et un nouveau lien à l'autre. Si les codes de l’école sont très éloignés de ceux de la maison, il importe que l’enfant sente que cela ne le met pas en conflit avec la famille. Cela nécessite une écoute spécifique, une mise en mots de la part des adultes pour que ce sentiment d’étrangeté ne génère pas une inquiétude persistante. La parole, le langage permettent l’accès à une forme de symbolisation. Un livre, une image, un dessin sont des éléments de représentation de la « maison » absente. Le jeu et ses « faire semblant », ou encore les premières traces, participent également à créer la notion de permanence de l’objet, le pouvoir de « penser à… ». L’enfant va percevoir : « Je suis l’enfant d’une famille singulière et aussi l’élève de cette école, et je suis un sujet complet, cognitif, social, corporel, affectif, et c’est avec tout cela que je vais apprendre ».

“Dans toute séparation, il faut lâcher quelque chose pour pouvoir établir un nouvel équilibre”

QUELS ÉTAYAGES POSSIBLES POUR UNE ENTRÉE DANS LES APPRENTISSAGES ?

La « capacité à être seul » est indispensable pour apprendre à l’école, pour mobiliser son attention, et cela commence avec l’autonomie de son propre corps. Accompagner la connaissance de son corps et de ses possibilités est très important. Le concept de psychomotricité me semble en ce sens plus parlant que l'EPS. Et c'est en s'appuyant sur les adultes que l'enfant va se rassurer, gagner en confiance et accéder à de nouveaux repères. L'étayage aux pairs est une condition au « vivre ensemble » et aux apprentis-sages, chacun doit se sentir « apportant » au groupe. Les objets de culture vont également constituer un étayage pour investir les objets d’apprentissage. Les rencontres avec les livres, les jeux, l’art offrent des mises à distance du rapport au réel : l’enfant a besoin d’expérimenter, de manipuler mais aussi d’aller vers l’abstrait, de pouvoir s’imaginer des situations sans les avoir vécues. Sans oublier que l’étayage a vocation à disparaître. Le tableau de Van Gogh « Premiers pas » est une métaphore intéressante pour penser cet accueil de l’enfant : se mettre à sa hauteur pour qu’il se mette en chemin de manière autonome.

ACCOMPAGNER « L'ACCROCHAGE » SCOLAIRE, UNE PRÉVENTION OUBLIÉE ?

L’école est une étape dans ce chemin, comment accrocher ce désir de revenir le lendemain ? Le nourrissage culturel est un moyen de stimuler l'intérêt d’être avec les autres et de grandir. La notion d’accrochage renvoie au sentiment d’exister pleinement dans cet espace. Les Rased*, en complémentarité avec les enseignantes et enseignants, participent à cette écoute de chacun. Dans cette prévention, leur suppression est un recul pour éviter des malentendus et des souffrances qui laissent des traces, au risque de créer plus tard des décrochages. Plaisir et désir ne devraient pas être des gros mots à l’école, ni pour les adultes, ni pour les enfants.
*Réseaux d’aides spécialisés aux enfants en difficulté.