"La science est un héritage universel"
Mis à jour le 23.05.25
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Interview de Christophe Galfard, astrophysicien
Christophe Galfard, astrophysicien, docteur en physique théorique de l'université de Cambridge et disciple de Stephen Hawking , est spécialiste des trous noirs et de l’origine de l’Univers. Auteur de “Voyage vers l’infini” et de le trilogie jeunesse “Le Prince des nuages”, il vient de sortir “Les Explorateurs de l’Univers”, un album-BD prolongé par des podcast disponibles sur l’application Radio France
LA REMISE EN CAUSE ACTUELLE DES SCIENCES VOUS INQUIÈTE-T-ELLE ?
Ce n’est pas la première remise en question des sciences dans l’histoire, que cela soit le fait de croyances religieuses, d’intérêts particuliers ou étatiques, pour installer un autre discours sur la réalité. Et à l’inverse, les sciences elles-mêmes sont déjà venues remettre en cause des systèmes dominants. Mais mon inquiétude vient d’une capacité de manipulation de masse avec un accès amplifié, voire unique pour certains, à des théories alternatives qui font appel à une intuition, ont l’air de relever d’un prétendu « bon sens » commun, plus facile à croire pour expliquer le monde autour de nous. La démarche scientifique nécessite un effort qui rend la transmission, la propagation moins évidentes, d’autant que nous n’avons pas les mêmes moyens de transmettre notre savoir. L'enseignement public joue ce rôle. Lorsqu’il y a une volonté que l’éducation commence à mettre à distance les sciences, comme aux États-Unis, l’inquiétude se renforce.
QUEL EST L’INTÉRÊT D'ENSEIGNER L’ASTRONOMIE AUX ENFANTS ?
L’astronomie n’est pas nécessaire en soi pour les jeunes enfants, mais elle est une porte d’entrée fabuleuse vers les sciences en général, dans une compréhension globale de la réalité. Sa singularité est qu’elle fait rêver. L’espace, les planètes, les éclipses, les trous noirs… chatouillent les esprits des enfants. Elle est indissociable de leur imaginaire, éveille une curiosité et offre un lien avec l’apprentissage de questionnements scientifiques. Les images dont on dispose sont somptueuses, attirent, facilitent l’approche et peuvent être un point de départ pour un raisonnement, vérifier si ce que l’on observe dans le ciel correspond à une représentation scientifique. Cette coupole noire avec ses points brillants qui nous surplombe depuis la nuit des temps reste fascinante, mais longtemps « le monde d’en haut » fut pensé dissocié de celui « d’en bas », détaché de nous et régi par des règles propres. Se projetaient sur le ciel des imaginaires peu scientifiques. C’est avec Newtown que l’on découvre que les deux sont liés. Nous ne sommes jamais que la somme des connaissances que les humanités ont construit jusqu’à nous. La culture d’une époque correspond à ce qui a été acquis et ce qui le sera demain nécessite de perpétuelles remises en question. Une nouvelle théorie, pour passer de Newton à Einstein par exemple, ne signifie absolument pas que la précédente était fausse mais c’est une amélioration de notre vision.
“Nous entrons dans une nouvelle ère de compréhension de l’univers tout entier avec tellement d’espaces à découvrir encore”
COMMENT RENDEZ-VOUS ACCESSIBLE UNE DISCIPLINE SI COMPLEXE ?
En évitant les termes trop techniques pour partager un savoir que j’ai eu la chance d’apprendre et qui appartient à l’humanité. La science est un héritage universel, elle n’a pas de copyright. Elle doit appartenir à tout le monde. Mais surtout, je raconte des histoires de découvertes, d’erreurs, de raisonnements, de cheminements, de mystères… avec de l’émotion, de l’humour. Sortir la science d’une représentation froide, la présenter comme une aventure. Cette facilitation par l’histoire est valable pour toutes les disciplines, elle renvoie aux transmissions orales de l’humanité.
QUELS SONT LES ENJEUX CONTEMPORAINS DE LA CONNAISSANCE DE L’UNIVERS ?
Nous sommes dans une période avec des images d’une beauté fabuleuse et où les don-nées qui nous arrivent sont phénoménales : composition de l'atmosphère de planètes lointaines et donc possibilité de détecter des signaux de vie biologique, confirmation qu’il existe une matière noire, peut-être une énergie noire aussi, observation de la naissance des premières galaxies… Les avancées sont si nombreuses, enthousiasmantes. Nous entrons dans une nouvelle ère de compréhension de l’univers tout entier avec tellement d’espaces à découvrir encore. Il y a du beau, du joyeux dans ces découvertes. La recherche peut réalimenter les intérêts des jeunes et devrait constituer un liant pour nos sociétés, regarder l’immensité qui nous entoure… Au-delà de l'astronomie, l’enjeu reste de répandre le savoir. C’est la base d’une société démocratique, elle ne fonctionne que si le savoir est partagé, sinon les décisions sont biaisées. La culture générale et la curiosité d’aller chercher et vérifier, de ne pas se laisser enfermer, restent fondamentales.