“Le savoir permet de comprendre les situations étudiées”
Mis à jour le 26.09.25
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Stéphane Bonnéry est professeur en science de l’éducation à l’université de Paris 8.
S’INTÉRESSER AUX RYTHMES ET AUX BESOINS DES ENFANTS, EST-CE UNE URGENCE ?
Cela fait plus de cinquante ans que cette question revient régulièrement et sert de prétexte à faire des économies, en réduisant les heures de classe, et peut-être, demain, en envoyant les professeurs des écoles en fin d’après-midi faire des remplacements en collège. L’argument est que les élèves fatiguent. Mais la fatigue, ce n’est pas la cause, mais la conséquence, notamment de certaines politiques éducatives, qui mettent une pression évaluative pour apprendre en moins de temps.
En renversant l'analyse, elles veulent imposer une idéologie fataliste avec des catégories telles que « les dons innés », « les rythmes propres » ou encore « le handicap socio-culturel » faisant porter la responsabilité de réussir sur les élèves et leurs familles. Comme si certains élèves étaient « inenseignables ».
LA CONVENTION CITOYENNE SUR LES TEMPS DE L’ENFANT INSISTE SUR « L’OFFRE PÉRISCOLAIRE EN MATIÈRE D’ÉGALITÉ DES CHANCES ». POURQUOI ?
Une complémentarité entre les différents temps de l’enfant est intéressante si chacun fait son métier. Or, les politiques publiques veulent faire l’inverse, en transférant une partie des activités scolaires, par exemple les activités artistiques ou sportives, sur du temps hors école. Mais l’animation, c’est un vrai métier. Réduire les animateurs à des sous-enseignants remplaçants, c’est injuste et cela accroît les inégalités sociales et territoriales déjà criantes.
L’externalisation de l’EPS vers les clubs sportifs aussi. Ces disciplines, inscrites dans le cursus obligatoire, sont un levier pour lutter contre les inégalités. Tous les élèves doivent continuer d’y avoir accès, que l’on soit fille ou garçon, de différents milieux, car elles permettent de prendre du pouvoir sur son corps et sur le monde en le comprenant.
“Plus on réduit le temps d’apprentissage à l’école, plus on accroît les inégalités scolaires.”
LA RÉDUCTION DU TEMPS SCOLAIRE EN 2008 A-T-ELLE ÉTÉ BÉNÉFIQUE À LA QUALITÉ DES APPRENTISSAGES ?
Plus on réduit le temps d'apprentissage à l’école, plus on accroît les inégalités scolaires. Depuis 2008, environ deux ans de scolarité ont été perdues alors que les programmes sont plus chargés. Pour la majorité des enfants, c’est surtout dans le temps de classe qu’ils découvrent le type d’activité spécifique à l'appropriation des savoirs savants et qu’ils peuvent donc développer ce type de concentration d’une nature particulière. Réduire le temps de classe rend les élèves plus fatigables à ce type d’activités spécifiques. Les enfants qui fatiguent le moins à l’école sont aussi ceux qui ont l’emploi du temps le plus chargé, faisant après la classe une école de musique ou de danse : ils continuent donc à être élèves en dehors de l’école...
En parallèle, les injonctions et les évaluations se sont multipliées, provoquant du stress pour les élèves comme pour les familles. Elles incitent les enseignants à simplifier les tâches et les exigences, à conditionner les élèves, surtout de milieu populaire, à des procédures comportementales. Or, l’enseignement doit être exigeant pour tous les élèves. Le savoir ne se réduit pas à une information : il permet de comprendre les situations étudiées.
AUJOURD’HUI, L’ÉCOLE PEUT-ELLE RÉPONDRE À L’ENJEU DE DÉMOCRATISATION ?
On est dans une société de plus en plus fragmentée. Comment va-t-on créer de la cohésion, un destin partagé, si on réduit l’outil qui existe pour transmettre du commun ? Le but de l’école est-il de cantonner les individus à leurs origines sociales et culturelles ou bien de développer des personnalités ? L’école ne doit pas se contenter de répondre aux besoins propres de l’enfant qui l’enfermeraient sur lui-même mais elle doit en créer de nouveaux, faire découvrir des savoirs absents de la sphère familiale et qui vont parfois contre la socialisation familiale. Il faut plus de maîtres que de classes pour que le temps de présence des enseignants devant élèves soit réduit et les heures de classe annuelles rallongées pour les écoliers, avec le temps nécessaire pour apprendre. L’école doit jouer pleinement son rôle afin de faire avancer la société.