Liberté, égalité, récré !
Mis à jour le 21.06.25
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Décryptage sur la récréation
Billes, marelles, cordes à sauter, la « récré » d’aujourd’hui ne semble pas si différente de celle d’hier. Pourtant, la manière de considérer ce qui s’y joue a bien évolué au regard des nouveaux enjeux.
Normalisée dès 1866 par le ministre de l’Instruction publique Victor Duruy par un temps de repos de dix à quinze minutes à l’extérieur, la récréation est d’abord conçue comme un espace destiné à permettre aux élèves de décompresser entre les temps d’apprentissage. Longtemps immuable dans son organisation et sa fonction, la « récré » est aujourd’hui considérée comme un enjeu pour l’éducation et la socialisation des élèves.
JOUER LIBREMENT POUR APPRENDRE
Catherine Frachon, conseillère pédagogique, confiait dans nos colonnes (voir numéro FSC 476) que la récréation doit demeurer « une pause entre les temps de concentration et d’efforts qui offre des moments de défoulement, de jeu, de créativité, d’autonomie ». Elle s’anime au gré des besoins des enfants : courir dans de vastes espaces ou bien chuchoter des secrets à l’abri des regards. Pour les enfants, à la récré, on joue surtout à des jeux d’hier et d’aujourd’hui. Mais on se raconte des histoires aussi.
Les travaux de Julie Delalande, anthropologue et professeure de sciences de l’éducation, soulignent que ce qui se passe dans ces conversations est fondamental pour leur construction. Elle précise l’importance de laisser les enfants gérer leurs activités. « La récréation est un espace de liberté, d’initiatives, de tests, d’apprentissage »*.
Pour elle, il s’agit de leur permettre d’être eux-mêmes. Des besoins essentiels reconnus par les textes officiels qui indiquent qu’« un élève ne peut être privé de la totalité de la récréation à titre de punition ». La responsabilité des équipes enseignantes n’est pas uniquement de surveiller mais aussi d’offrir aux élèves un environnement sécurisé et stimulant en pensant la récréation.
* FSC 476, 2021.
UN ESPACE DE SOCIALISATION
Les recherches en sciences sociales ont révélé, quant à elles, des disparités d’appropriation et de distribution de cet espace. Alors que le foot, pratiqué principalement par les garçons, occupe 90 % des espaces disponibles des cours de récréation selon le rapport annuel 2024 du Haut conseil à l’égalité, la géographe du genre, Edith Maruéjouls, relève dans ses expérimentations que les filles ne trouvent pas toujours leur place pour jouer. « Le projet d’école égalitaire partagé par les adultes est l’élément indispensable à une démarche d’aménagement des espaces, précise-t-elle. Travailler la relation filles/garçons dans le jeu, dans des espaces d’autonomie et d’interactions, c’est permettre l’amitié, leur créer des souvenirs et leur ouvrir des possibles ».
Si la récréation contribue au bien-être, à la santé et au développement cognitif des élèves, elle est un lieu privilégié de socialisation. « Les enfants appartiennent à un groupe social qui a ses codes et ses références, pointe Julie Delalande, et dont la principale motivation est de trouver sa place ». Tout est sujet à négociation pour intégrer la bande. C’est en partageant des activités que les enfants apprennent à jouer ensemble, en fonction de leurs goûts mais aussi à partir des manières de s’accorder. Certains proposent, d’autres imitent. Il y a les anciens qui « savent » et les plus jeunes qui apprennent. Une culture enfantine empreinte d’un ensemble de savoirs et savoir-faire qui se transmettent aussi par les adultes, tant parents que PE. La récréation est « l’occasion pour les enfants de confronter à la réalité ce que les adultes leurs inculquent, en conformité ou parfois en opposition », insiste Julie Delalande.
DU COURS À LA COUR
Face aux bouleversements climatiques, un regain d’intérêt pour l’aménagement des cours de récréation fleurit partout en France. Selon le rapport d’activité 2018 de l’Agence de la transition écologique (Ademe), la plantation d’arbres d’ombrage permet de réduire localement la température urbaine de 3 à 5°C. Mais pour Sylvain Wagnon, professeur des universités, rénover les cours d’école ne se résume pas à
débitumer et replanter des arbres, comme expliqué dans son ouvrage «Réussir la végétalisation des cours d’école» publié récemment. Cela doit être un projet citoyen pour la réussite éducative, en partenariat avec des architectes, co-conçus avec enfants et adultes de l’école, et les collectivités territoriales. C’est aussi l’occasion de développer de nouveaux équipements ludiques pouvant répondre à de nouvelles méthodes pédagogiques pour apprendre du vivant tant par l’observation que par l’action, comme avec un jardin potager. Les bénéfices sur la santé et le bien-être des enfants contrebalancent les craintes éventuelles (salissures, dangers potentiels…). Par ailleurs, comme en témoignent certains PE les ayant expérimentés, de tels aménagements améliorent le climat de classe.
des activités que les enfants apprennent
INTERVIEW DE CHRISTINE BRISSET
CHRISTINE BRISSET est chercheuse associée au laboratoire cultures éducation société (LACES), université de Bordeaux et enseignante-chercheure en psychologie et en sciences de l'éducation et de la formation à l'Insei de Suresnes
QUE NOUS RÉVÈLE L’OCCUPATION DES ESPACES EN RÉCRÉATION ?
Dès l’école maternelle, l’occupation de la cour est très genrée. De nombreuses recherches le corroborent. Bien souvent, les garçons vont choisir davantage les jeux de ballon, occupant une grande partie de l’espace, alors que les filles vont choisir plutôt d’autres jeux, comme la corde à sauter, auxquels elles joueront dans un coin. Par ailleurs, des élèves restent près des adultes ou sur un banc. Certains d’entre eux, notamment les plus jeunes, se sentent en insécurité, ayant, par exemple, peur d’être bousculés.
QUELLES INCIDENCES SUR LES ÉLÈVES ?
Partager l’espace et les jeux n’est pas simple. Prendre conscience pour les enfants de ce qui se joue en récréation non plus. Des querelles ont souvent lieu. Si des disputes surviennent principalement avec le partage du matériel, comme les trottinettes, beaucoup de « bagarres » sont « pour de faux » rapportent les élèves. Porter un autre regard sur le comportement des enfants incite à adopter des stratégies pour différencier les imitations d’agressivité des conflits avérés, qui ne sont pas si nombreux que cela. Amener les élèves à verbaliser, à analyser ce qu’ils ont vécu, permet de faire la part des choses et prendre conscience de ce que peut engendrer une « vraie bagarre ».
COMMENT LES ADULTES DE L’ÉCOLE PEUVENT-ILS SE POSITIONNER ?
Pour les écoles de grande taille, décaler les récréations peut renforcer le sentiment de sécurité, en particulier pour les plus jeunes. Réfléchir avec les enfants aux jeux proposés peut aider à ce que chaque élève ait sa place. Les responsabiliser dès le plus jeune âge est essentiel car « la récré » est un espace de liberté qu’ils doivent s’approprier dans un cadre serein. Le jeu des trois figures formalisé par Serge Tisseron où une situation vécue est reproduite - avec les rôles d’agresseur, d’agressé et d’observateur - permet de réaliser qu’un observateur a un rôle important à jouer, comme intervenir ou alerter.
Des ateliers de langage ou des débats philo type Michel Tozzi permettent de prendre en compte la parole des enfants. Ils apprennent à être partie prenante, à communiquer de manière non violente ou à décider d’aménagements de la cour. En responsabilisant les enfants, le climat est apaisé et renforce la confiance des parents pour qui la récréation est parfois synonyme de danger.