“Un levier de justice environnementale”

Mis à jour le 21.06.25

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Grande interview de Aurélie Zwang

Aurélie Zwang est maîtresse de conférences en sciences de l’éducation et de la formation, éducation et muséologie relatives à l’environnement à l’université de Montpellier. Co-coordonnatrice du rapport de recherche-action participative sur la classe dehors « Grandir avec la nature ».

aurelie swang

QUEL RAPPORT AU DEHORS DANS LA SOCIÉTÉ AUJOURD’HUI ?

Les constats convergent vers une diminution de l’occupation de l’espace public des enfants par rapport aux années 1950, à mesure que l’espace urbain est accaparé par la voiture. Les enfants sont désormais « d’intérieur » tandis qu’une « civilisation du cocon »* s’est développée. La fréquentation des colonies de vacances a reflué à la fin du 20e siècle.

Après la crise sanitaire, les habitudes de temps d’écran ont perduré. Alors que la tolérance au risque recule, les enfants sont « enfermés » par sécurité et la fréquentation d’espaces naturels est souvent réservée aux loisirs des plus favorisés d’entre eux. Une sédentarité croissante est à l’origine de déséquilibres sanitaires comme l’obésité, une diminution des capacités respiratoires ou des troubles de l’attention, que recouvre le « syndrome de manque de nature »**.

L’ÉCOLE EN PLEIN AIR PERMET DE SE RECONNECTER À LA NATURE ?

Elle peut reconnecter à la nature si cette dimension est travaillée en propre. Le contact avec un environnement naturalisé riche en biodiversité et propice aux observations est nécessaire. Mais il faut y déployer des démarches pédagogiques pour faciliter l’exploration du milieu, l’expérimentation, les découvertes sensorielles, des moments d’introspection personnelle, etc. La fréquentation régulière permet le développement d’un attachement affectif au lieu naturel, d’une culture partagée qui contribue à la construction d’une identité écologique.

Cet apprentissage qui va au-delà du cognitif et des attendus scolaires ne peut se réaliser à l’intérieur. Par contre, être dehors, connaître la faune et la flore ne suffisent pas à former à une éco-citoyenneté responsable qui suppose aussi d’accéder à des approches critiques pour construire ensemble un environnement sain.

“Les effets du dehors dépendent de démarches pédagogiques qui n’ont rien de l’école buissonnière”

QUELS EN SONT LES APPORTS ?

Elle donne sens au métier enseignant, alliant convictions personnelles et conception du rôle d’éducateur. L’attachement à une pratique née du terrain et empreinte de liberté pédagogique est fort et continu. Le contact à la nature est aussi bénéfique au physique et au psychisme des enseignants. La qualité de relation avec les élèves, davantage perçus comme enfants, le temps accordé à leur observation, la co-construction des apprentissages à partir du questionnement des élèves changent la relation pédagogique au bénéfice conjoint des PE et des élèves.

Outre le développement de la motricité, les langages sont très travaillés dans un contexte de sociabilité accrue. Les élèves communiquent davantage entre eux, par exemple pour négocier la fonction symbolique d’un élément naturel tel qu’un bâton dans un jeu libre. La mutualisation lors des temps de regroupement occasionne aussi des moments de parole importants. Mais rien n’opère par magie. Les effets du dehors dépendent de démarches pédagogiques qui n’ont rien de l’école buissonnière. Préparation et expérience dans l’alternance d’activités dirigées et libres sont les garantes d'effets tangibles.

UNE PRATIQUE QUI PARTICIPE À RÉDUIRE LES INÉGALITÉS ?

Son développement est l'occasion de dresser un état des lieux de la disponibilité d’environnements naturalisés sains à proximité des écoles. Travailler avec les municipalités à la (re)création de milieux de nature permettrait de corriger des inégalités territoriales qui dépassent le dualisme rural/urbain. C’est un levier de justice environnementale car les personnes les moins fortunées habitent des environnements plus dégradés. L’école dehors peut, en milieu urbain défavorisé, redonner de la valeur à des lieux de nature de proximité et contribuer à recouvrer de l’estime de soi au regard de l’endroit où l’on vit.

De plus, partir des interrogations des élèves, dans des environnements ouverts, peut permettre de changer leur rapport au savoir, surtout chez les moins familiers avec la forme et la culture scolaires. Ce champ des possibles nécessite l’expertise des PE pour institutionnaliser des savoirs dans une démarche qui semble moins formalisée. Toutes ces potentialités sont en cours d’exploration. Leur développement est prometteur.

* Vincent Coquebert « La civilisation du cocon », Arkhé éditions, 2021.
** Richard Louv « Une enfance en liberté. Protégeons nos enfants du syndrome de manque de nature », éditions Leduc, 2020.

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