Maternelle : missions et spécificités

Mis à jour le 22.10.22

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FsC 485 spécial Maternelle : la maternelle a des missions mais sa spécificité est actuellement menacée. Quelles sont les risques de cette menace pour les élèves et pour les PE ? Quelle place donner à l'évaluation positive ?

Christophe Joigneaux est professeur des universités en sciences de l’Éducation à l’UPEC (Université de Paris- Est Créteil) et formateur à l’INSPE de Créteil. Il a mené de nombreuses recherches sur l’entrée dans l’écrit des jeunes enfants et les inégalités
scolaires

Christophe-Joigneaux©Millerand-Naja

Quelles sont les missions de la maternelle aujourd'hui ?

Elles sont diverses mais depuis le milieu des années 70, il y a une montée des missions propédeutiques, c’est-à-dire de la
préparation aux apprentissages qui se déroulent à partir du CP. De façon assez liée, il y a une mission de réduction des inégalités scolaires à l’école maternelle. Ces missions continuent de cohabiter avec les missions plus traditionnelles : le soin et l’épanouissement de l’élève et sa libre création, sa liberté d’apprendre et le respect de son développement.

En a-t-il toujours été ainsi ? 

Non, et cela est lié à l’évolution de l’école maternelle et en particulier de la population d’élèves qui la fréquente. Jusque dans les années 60, c’était avant tout des élèves de milieu populaire. L’objectif était de les préparer à une scolarité assez courte, leur donner
ce qu’ils sont censés connaitre pour pouvoir vivre dans la société. Cela peut expliquer pourquoi pendant longtemps dans les programmes de l’école maternelle, il y avait des apprentissages qui maintenant relèvent plutôt de l’école élémentaire. Dans les premiers programmes de 1881 et de 1887, toutes les techniques opératoires, dont la division, étaient au programme de la grande section. Et aussi pourquoi, dans les années 60-70, l’accent a été mis davantage sur l’épanouissement et le développement des élèves. Des éléments qui sont très présents dans les orientations de 1977. Le tournant est en 1986 où les orientations rappellent que l’école  maternelle est d’abord une école, la première école.

"Certains élèves peuvent être accompagnés par les familles pour réduire les impacts défavorables
d'une grande précocité de certains apprentissages alors que pour d’autres, ce n’est pas le cas”

Sa spécificité est-elle menacée ? Pourquoi ? 

Cela dépend ce que l'on compare et à quel échelon de temps sont comparés les programmes ou les textes. Il faut donc relativiser. En revanche la volonté d’assurer la continuité des apprentissages entre l’école maternelle et élémentaire, de préparer le plus possible les élèves aux apprentissages du CP - en particulier de la lecture avec l ’accent sur la conscience phonologique par exemple- risque de
faire perdre ce qui faisait la force et la spécificité de l’école maternelle, c’est-à-dire la prise en compte du jeune âge et de ne pas aborder trop rapidement, trop précocement certains apprentissages. Mais il faut aussi tenir compte des évolutions conjointes de l’école maternelle et élémentaire où l’accent est mis sur l’autonomie, liée à celle de la société.

Quelles conséquences pour les élèves, les PE ? 

Le risque est d’accroitre les inégalités. Certains élèves peuvent être accompagnés par les familles pour réduire les impacts défavorables d’une grande précocité de certains apprentissages alors que pour d’autres, ce n’est pas le cas. Or, une des missions de l’école maternelle est de prévenir et réduire ces inégalités. Il y aussi le risque de moins respecter le développement de l’enfant, ses besoins, en termes de jeu, de mobilité ainsi que ses besoins affectifs... cela peut engendrer pour lui une certaine souffrance et mettre à mal son bien-être. Souvent les enseignants maternelle mettent en avant la souplesse de cette école, le temps accordé aux enfants pour apprendre, le risque est de réduire la satisfaction à enseigner à ce niveau, de faire perdre à l’école « son âme ».

Quelle place donner à l'évaluation positive ?

Mettre en place réellement une évaluation positive permet de faire concilier une logique évaluative et de développement des jeunes enfants. Mesurer les progrès de l’élève lui-même avant d’évaluer les écarts par rapport à des résultats attendus. D’ailleurs, les attendus en maternelle sont de fin cycle et non à la fin de chaque année. Mais cela est compliqué à mettre en œuvre car il faut pour mesurer des progrès évaluer des processus d’apprentissages et donc des compétences transversales qu’on peut renseigner année après année du type se repérer dans un livre ou l’espace d’une page, l’autonomie... Les enseignants ont besoin d’avoir plus de formation, de moments de concertation pour avoir une cohérence dans la communauté de pratiques au sein de l’école, une réflexion sur les types de savoirs et compétences à évaluer.